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Harvey P. Weingarten – La difficulté du changement : des conseils de Keynes

Harvey P. Weingarten
Harvey P. Weingarten, Président-directeur général

Dans la préface de son ouvrage Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, John Maynard Keynes affirme ce qui suit : « Les idées […] exprimées ici sont extrêmement simples et devraient être évidentes. La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, elle est d’échapper aux idées anciennes qui ont poussé leurs ramifications dans tous les recoins de l’esprit des personnes ayant reçu la même formation que la plupart d’entre nous »

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Je n’ai pas l’intention de commenter ici les mérites de Keynes l’économiste (en toute transparence, je n’ai jamais suivi de cours d’économie, bien que certains de meilleurs amis soient économistes). Quoi qu’il en soit, Keynes avait un bel esprit de psychologue : il avait compris que la véritable difficulté du changement consiste à se libérer des modes de réflexion convenus face aux problèmes, de façon à ouvrir la voie à l’instauration de nouvelles idées et de solutions qui conviennent davantage.

Nombreuses sont les manifestations d’une volonté de changement, voire de transformation, du système d’enseignement postsecondaire de l’Ontario. Par exemple, depuis maintenant un certain temps, le gouvernement a fait le vœu d’aller au-delà des concepts de l’augmentation des inscriptions et de la croissance, lesquels exercent une forte influence, pour tendre vers la concrétisation de résultats souhaités autres, comme la préparation améliorée des élèves aux emplois actuels, une viabilité accrue des établissements d’enseignement, un enseignement et de la recherche de qualité supérieure, etc. Le gouvernement n’ignore pas qu’il dispose de puissants moyens d’action pour apporter de tels changements. Toutefois, va-t-il concevoir ces moyens d’action puis s’en servir de façon novatrice pour promouvoir le changement, ou si ses tentatives de reconception demeureront paralysées par les anciens modes de réflexion employés jadis devant de tels enjeux?

Voici de quoi exemplifier mon propos.

Au cours des dernières décennies, les inscriptions ont constitué l’élément moteur et quasi exclusif de la formule de financement des collèges et universités de l’Ontario : les fonds additionnels ont été mis en adéquation avec la croissance des inscriptions. Après avoir admis qu’un tel mécanisme ne répondait plus aux besoins de l’Ontario, le gouvernement s’est engagé à réformer la formule. Or, il en est actuellement à la croisée des chemins. Cette réforme débouchera-t-elle sur de petites retouches à un modèle de financement unidimensionnel hérité du passé ou, au contraire, véhiculera t elle des catalyseurs favorisant la réalisation d’objectifs cruciaux au-delà des inscriptions, comme l’amélioration des résultats d’apprentissage des élèves (suivant les recommandations du rapport Herbert) ou la viabilité des établissements d’enseignement?

Durant de nombreuses années, le gouvernement de l’Ontario a adhéré à la philosophie consistant à traiter sur le même pied tous les établissements d’enseignement (du moins dans les secteurs collégial et universitaire). Il est désormais acquis à l’idée d’une politique de différenciation des établissements d’enseignement : appuyer les établissements d’enseignement dans la réalisation de leurs points forts caractéristiques, de façon à optimiser leur apport au système dans l’ensemble. Les contrats de différenciation entre le gouvernement et chaque établissement d’enseignement sont saisis dans les ententes de mandat stratégiques (EMS); le prochain cycle de négociations des EMS est prévu en 2017. Au moyen des EMS, continuera-t-on de traiter plus ou moins sur le même pied chaque établissement d’enseignement, ou verra-t-on une tentative audacieuse de saisir véritablement les points forts et l’apport propres à chacun des établissements d’enseignement par l’instauration d’un ensemble différent d’attentes et de mesures de rendement liées à leur financement?

Par le passé, le gouvernement de l’Ontario a adopté une politique essentiellement non interventionniste envers ses universités (par rapport à d’autres secteurs de compétence) et, dans une moindre mesure, envers ses collèges. Or, les récents énoncés du gouvernement portent à croire qu’il envisage un changement de position sur le continuum autonomie-responsabilisation. Au moment où il cherche à s’acquitter de son rôle légitime de gardien des fonds publics, le gouvernement consentira-t-il à imposer aux établissements d’enseignement postsecondaires un régime de rendement et de responsabilisation davantage exigeant, peut-être analogue à celui en vigueur dans le secteur des soins de santé, de même qu’à modifier la politique régissant les collèges et qui date de plusieurs décennies, afin de reconnaître leur volonté de jouer un rôle accru?

En outre, Keynes aurait déclaré ce qui suit : « Lorsque les faits changent, je change d’avis. Et vous, monsieur, que faites-vous? » De toute évidence, les faits relatifs à l’enseignement supérieur public en Ontario diffèrent actuellement de ceux de la deuxième moitié du XXe siècle. De nouvelles idées et solutions sont désormais bien connues. Maintenant, sera t il possible d’échapper aux idées anciennes qui, comme Keynes l’avait prédit, « […] ont poussé leurs ramifications dans tous les recoins de l’esprit des personnes ayant reçu la même formation que la plupart d’entre nous »? Qui vivra verra.

Merci de m’avoir lu.

Harvey Weingarten est président-directeur général du COQES.

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