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Martin Hicks et Fiona Deller – L’exonération des frais de scolarité : une mesure bien réfléchie

L’exonération des frais de scolarité n’a rien d’un slogan politique. Il s’agit plutôt d’un nouveau programme important qui élargira l’accès à l’enseignement supérieur dont disposent les Ontariens à faible revenu ou marginalisés. Or, maintenant que nous sommes enfin prêts à mettre ce programme en branle, il ne faudrait pas le politiser d’emblée.

Jadis, bien avant 1991, le fonctionnement du RAFEO (Régime d’aide financière aux étudiantes et étudiants de l’Ontario) était relativement simple. On additionnait les frais de scolarité et de subsistance liés aux besoins de l’élève. Ce dernier obtenait une bourse immédiate et, si ses besoins occasionnaient des frais au‑delà d’une certaine limite (le « plafond de la bourse »), il recevait par surcroît un prêt qu’il devait ultérieurement rembourser.

Par la suite, les choses se sont compliquées et embrouillées. Le gouvernement de l’Ontario a modifié le RAFEO suivant le principe du prêt immédiat; l’élève qui terminait son programme d’études avait cependant droit à une exonération partielle de son prêt (tel un pécheur finalement repenti). Cette façon de faire était justifiée à l’époque. D’abord, elle rendait le RAFEO moins régressif, parce que l’exonération visait les élèves ayant les besoins financiers les plus élevés. Ensuite, elle permettait au gouvernement de l’Ontario de s’emparer de montants supérieurs disponibles au titre du Programme canadien de prêts aux étudiants, dans l’intérêt des élèves en Ontario. Enfin, conformément aux règles comptables qui prévalaient à l’époque, elle permettait de reporter une grande partie des dépenses comptabilisées du gouvernement en période de déficit budgétaire atroce.

Malgré tout, et il s’agit là d’un point colossal, peu de gens comprennent le mécanisme d’exonération du prêt. De nombreux Ontariens à faible revenu n’y voient que des frais de scolarité et un prêt monstrueux. Cette perception nuit en partie à l’accès à l’enseignement supérieur parce qu’elle véhicule un message rébarbatif.

Par-dessus le marché, il y a les crédits d’impôt pour frais de scolarité des gouvernements provincial et fédéral qui, comme deux excroissances, sont éloignés du remboursement réel des frais de scolarité, au point où leurs retombées favorables à la diminution des coûts est pratiquement imperceptible aux yeux des bénéficiaires visés. Qu’on n’accuse pas les élèves potentiels de n’y rien comprendre! Même les experts sont confus devant un tel « brouillage stratifié ». L’estimation annuelle des frais de scolarité par province établie par Statistique Canada relate de façon simpliste le coût affiché moyen de la scolarité, ce qui donne l’impression que l’Ontario exige les frais de scolarité les plus élevés au pays.

Bien entendu, un tel imbroglio nuit essentiellement aux élèves à faible revenu et marginalisés. Ces derniers ont déjà droit concrètement à une exonération des frais de scolarité ou à des frais de scolarité très bas en Ontario, mais ils ne peuvent ni s’en rendre compte, ni y croire, ni même s’imaginer avoir un diplôme d’études collégiales ou un grade universitaire. C’est donc dire qu’un obstacle financier tout à fait inutile est apparu, malgré la gamme d’améliorations substantielles apportées au RAFEO au fil des ans.

Puis un jour, tous les éléments sont tombés en place comme par miracle. Le gouvernement provincial n’était plus obnubilé par les crédits d’impôt, ni par l’avantage du report du remboursement des prêts, ni par les améliorations coûteuses – mais imperceptibles – au RAFEO. À ses yeux, les jeunes marginalisés constituaient désormais un dossier prioritaire.

C’est alors que quelques bureaucrates diligents et très travaillants ont, par pur altruisme, saisi l’occasion de collaborer avec les dirigeants politiques réceptifs de l’époque pour remanier le RAFEO au complet, y compris le crédit d’impôt provincial, de façon à procurer clairement aux Ontariens à faible revenu et marginalisés une exonération immédiate des frais de scolarité. Il n’y a ici ni tour de passe-passe, ni confusion, ni « brouillage ».

Mais pour quelles raisons les gens s’y objecteraient‑ils? Ah oui! Les restrictions… Ainsi donc, parce qu’on attend encore des élèves visés qu’ils contribuent à leurs frais de subsistance, il ne s’agirait pas d’une véritable exonération; or, cette présomption est fausse, parce que les élèves issus de la classe moyenne ou de la classe moyenne supérieure doivent encore payer des frais de scolarité. En réalité, les frais de subsistance ne sont pas synonymes de frais de scolarité, et le gouvernement n’a jamais prétendu qu’il allait rembourser les frais de subsistance. Seulement les frais de scolarité. De fait, le programme est destiné aux élèves ayant le plus faible revenu, en permettant l’exonération de leurs frais de scolarité.

Le concept d’« exonération des frais de scolarité » des Ontariens à faible revenu a précisément le même sens que celui de « gratuité scolaire » dans les divers pays d’Europe où il n’y a pas de frais de scolarité. Le gouvernement ne se mêle ni des frais de subsistance des élèves, ni de leurs relations amoureuses : seuls les frais de scolarité font l’objet d’une exonération. Il en coûtera donc 0,00 $ aux élèves à faible revenu pour faire des études collégiales ou universitaires.

Par ailleurs, à ceux qui ronchonnent parce que le gouvernement n’a pas consacré de fonds supplémentaires à ce programme qui, selon eux, s’apparente à une astuce, nous répondons que ce qui a été accompli ici correspond en tout point à ce que nous attendons plus souvent des interventions gouvernementales : optimiser, à l’aide des fonds publics consentis actuellement et en toute transparence, l’atteinte des objectifs des programmes en matière d’équité.

Voilà exactement à quoi rime l’exonération des frais de scolarité des élèves à faible revenu. Celle‑ci supprime un immense obstacle psychologique. Elle permet de canaliser davantage les fonds existants vers ceux qui en ont le plus besoin. Grâce à elle, les élèves les plus inquiets et soucieux quant à l’accès à l’enseignement supérieur peuvent consacrer leurs pensées et leur énergie à la suppression des autres obstacles, lesquels – au‑delà des questions financières – ne manquent pas.

Au nom de l’accès à l’enseignement supérieur, pouvons-nous de grâce ne pas politiser cet enjeu? En Ontario, les élèves à faible revenu ont droit à une exonération des frais de scolarité. Il s’agit tout simplement d’une réalité.

Martin Hicks est directeur exécutif de Données et statistique au COQES; Fiona Deller est directrice exécutive des Politiques et partenariats au COQES.

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