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Dans notre mire – les réflexions d’une stagiaire du COQES sur ses stages

Dans notre mire met en valeur des membres du personnel et blogueurs invités du COQES qui présentent leur point de vue unique sur les tendances, les nouvelles idées et les questions délicates relatives à l’enseignement supérieur. Les opinions exprimées n’engagent que les auteurs.

À mes collègues stagiaires : au cas où vous ne l’auriez pas déjà remarqué, nous sommes devenus la coqueluche des médias dernièrement (qui a dit qu’il n’y a qu’une vingtaine de chefs de la direction qui s’amusent?).

Les régimes de travail non rémunéré sont un sujet d’actualité ces jours-ci. Qu’il s’agisse du militantisme des stagiaires au Royaume-Uni ou du tollé qui s’est élevé chez des stagiaires de la côte Ouest, les débats entourant ce rythme de passage très contesté continue de prendre de l’ampleur chez les organisations, les chercheurs d’emploi, les décideurs et le monde des travailleurs dans l’ensemble.

Cette question fait naître inévitablement deux camps : d’une part, ceux qui crient à l’exploitation et, d’autre part, ceux qui font l’éloge de ses avantages. Les tenants du premier camp font valoir que les stages non rémunérés consistent essentiellement en des postes au bas de l’échelle, auxquels sont affectés gratuitement des candidats très qualifiés comme des étudiants de cycles supérieurs, voire des travailleurs âgés en réorientation professionnelle. La notion selon laquelle les stages sont fondamentalement « catégoristes » – occupés par ceux qui peuvent littéralement se permettre de travailler gratuitement, ce qui entrave la mobilité des autres groupes sociaux – est également répandue. Il ne faut pas oublier non plus les embêtements juridiques : de tels types de régimes, si le travail est non rémunéré, constituent une infraction au titre de la plupart des lois provinciales du travail.

Tandis que certains estiment que les stages non rémunérés relèvent de l’exploitation, d’autres les considèrent comme avantageux et s’en font les défenseurs. Chez ces derniers, le perfectionnement professionnel remplace la rémunération, parce que l’apprentissage et le mentorat servent de « monnaies d’échange » dans un tel processus. Ils soutiennent que ces stages constituent le moyen approprié, voire idéal, de gérer des travailleurs subalternes. Tout bien considéré, pourquoi faudrait-il rémunérer des travailleurs inexpérimentés? De fait, certains employeurs et stagiaires avancent que le défaut de rémunération est en réalité bénéfique pour les travailleurs, car cette pratique forge le caractère et transmet un message positif aux futurs employeurs.

Dans un tel contexte, que devrait faire un étudiant des cycles supérieurs qui a eu amplement sa part de programmes d’enseignement coopératif et de stages?

J’ai fait face au débat stage rémunéré/non rémunéré au cours de ma recherche d’expérience professionnelle dans un programme coopératif durant mes études de premier cycle. Mon père m’a souvent parlé de l’axe de l’offre et de la rémunération; il m’invitait, dans ms recherches d’emploi, à garder constamment l’œil ouvert sur les conditions salariales sans reculer face aux paramètres exigés. Comme n’importe qui dans la vingtaine, je levais alors les yeux au ciel et je lui répondais qu’il ne connaissait rien. N’oublions pas qu’à cette époque  – peu après l’année 2008 – la concurrence était très intense; à mes yeux, le fait de pouvoir « mettre le doigt dans l’engrenage » équivalait à une rémunération.

Je me rappelle encore l’obtention de mon premier emploi dans le cadre d’un programme coopératif : j’avais l’impression de gagner le gros lot. Il s’agissait d’un poste rémunéré, dans le secteur de mon choix, et chez un employeur réputé. Néanmoins, je m’étais juré que ce coup de chance n’allait jamais changer ma personnalité, que la passion éprouvée pour mon domaine demeurerait ma principale motivation et que j’allais continuer de m’efforcer d’obtenir les meilleures occasions professionnelles, quel qu’en soit le coût. Bref, je n’allais pas incarner la génération « Moi – Moi – Moi », à laquelle tout est dû.

Lorsque je repense à mes antécédents professionnels, je m’estime très chanceuse d’avoir pu bâtir mon curriculum vitæ sur des offres d’emploi rémunérées à leur juste valeur.

Si j’ai d’abord cru que cette réalisation était le fruit du hasard, je me rends compte actuellement que mes choix étaient loin d’être arbitraires. J’ai canalisé mes efforts vers les offres rémunérées parce que je savais que mon mode de vie allait pâtir d’une perte de salaire, fût-elle temporaire. En ce qui touche mon seul stage non rémunéré, j’ai négocié et obtenu un régime de travail à temps partiel. En outre, je fais partie des privilégiés : nombreux sont les candidats brillants qui n’auront jamais l’occasion de faire leurs preuves à cause de contraintes financières pires que les miennes. La passion, c’est bien beau, mais ça ne permet pas de payer les factures.

Fait le plus important, mon salaire allait constituer le filet de sécurité qui me protégerait pendant que je passais d’une voie professionnelle potentielle à l’autre en cherchant le rôle qui me conviendrait le plus. Les stages rémunérés donnent aux gens la possibilité de se recycler, d’approfondir pleinement leurs intérêts en tant que jeunes travailleurs et, parallèlement, d’acquérir un ensemble diversifié de compétences dont leurs futurs employeurs bénéficieront. Voilà où j’en suis encore aujourd’hui : créative et spécialiste du marketing, je tente actuellement ma chance dans le domaine de la recherche et des politiques, et je m’estime heureuse d’occuper un poste où l’apprentissage, les réalisations et même les erreurs font encore partie du travail et du salaire de la journée.

Il y a quelque temps, j’ai décidé que je n’allais plus appuyer les stages non rémunérés : autrement dit, je n’exercerais plus mon privilège de présenter des demandes à ce titre et je n’allais plus me renseigner, ni renseigner autrui, sur les difficultés entourant les jeunes et le monde du travail. Cette résolution, qui peut sembler banale, fut pour moi un renversement de paradigme, notamment parce que j’ai œuvré par le passé dans un secteur où payer le tribut signifiait… ne pas toucher de rémunération. J’assume pleinement ma prise de position, et je suis consciente de ses répercussions. Je tiens à être aux côtés des personnes les plus talentueuses du domaine, ce qui signifie prendre conscience des obstacles à l’accès et supprimer ceux-ci. Ce que mes employeurs ont fait pour moi, je le dois également à ma génération.

-Loren Aytona – stagiaire en recherche

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